Si Kalila se satisfait de sa condition, Dimna en revanche aspire aux honneurs, quels que soient les moyens pour y parvenir. Chacun des deux justifie sa position en enchaînant des anecdotes, qui mettent en scène des hommes et des animaux, et délivrent des préceptes et des morales. Donner la parole aux animaux permet, sous une forme divertissante, de traiter – et de mémoriser – des sujets universels tels que l’amitié, la trahison, le rôle du savoir ou encore la justice. Les histoires visent également à régler la bonne conduite de l’individu sur le plan personnel, familial et civique. Ce recueil de fables est à l’origine composé en Inde, aux alentours du IIIe siècle apr. J.-C., et veut être un « ouvrage de sagesse » destiné à enseigner aux princes les principes de la bonne gouvernance. Au VIIIe siècle, il est traduit en arabe par Ibn al-Muqaffa’ ; cette version marque le point de départ de l’exceptionnelle diffusion du texte, en Orient (persan, turc, mongol…) comme en Occident (grec, hébreu, latin, allemand, français…) Les différentes traductions issues de l’arabe permettent au récit de voyager et de se métamorphoser au fil des siècles et des cultures. Ce succès a généré une abondante production de manuscrits et d’imprimés illustrés. Témoins de ces pérégrinations dans le temps et l’espace, les œuvres présentées dans l’exposition confrontent les différentes représentations iconographiques dans une multiplicité de styles et de techniques. Le parcours de l’exposition aborde successivement les voyages du texte, les leçons de vie qu’il donne et ses interprétations contemporaines. En effet, à côté des livres pour enfants et des spectacles de marionnettes qui mettent en avant le caractère ludique et pédagogique du dialogue moral entre les animaux, d’autres lectures, plus subversives, réactivent la charge politique contenue dans ce « miroir des princes ». Artistes et metteurs en scène contemporains recourent aux potentialités du bestiaire des fables pour formuler des critiques, parfois vives, contre certaines pratiques du pouvoir. En complément, l’exposition pose la question des modèles et de la fabrication des images qui illustrent ces fables ; elle rappelle également qu’une vingtaine d’apologues de Jean de La Fontaine sont empruntés au Livre de Kalila et Dimna.